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Rencontres de Pétrarque

Entretien avec Laure Adler

Bilan et perspectives des Rencontres de Pétrarque

La 15ème édition des Rencontres de Pétrarque a pris fin. Le thème de cette année «Que peut encore la politique ?» a attiré les foules une nouvelle fois. Laure Adler, directrice de France Culture, dresse un bilan de ces Rencontres. Elle envisage d'élargir sa collaboration avec la Ville de Montpellier.

Entretien


Question : N'aurait-il pas fallu poser plutôt la question «Que peuvent encore les politiques ?» ?
Laure Adler : Non, je ne crois pas du tout. Je crois que c'est vraiment à dessein que nous avons choisi, en collaboration avec les journalistes du Monde, d'intituler ces Rencontres «Que peut encore la politique ?». Parce que la politique peut être sauvée par d'autres gens que les politiques. Donc c'était très important de réhabiliter ce concept même de politique, qui vient du mot police, c'est-à-dire «cité». Nous sommes tous des citoyens. Nous vivons majoritairement dans des cités. Et de ce lien de solidarité, de ce tissage entre les gens, nous sommes tous responsables. Ce ne sont pas les hommes politiques qui sont les seuls représentants de cette politique. Nous tous, nous en sommes les représentants.

Question : Vous avez assisté à tous les débats. Que pensez-vous du premier débat "L'économie contre la politique" ? Sont-elles des antagonistes ou sont-elles plutôt en harmonie ?
Laure Adler : Je pense que les rapports entre économie et politique sont de plus en plus antagonistes. Le 19e siècle, philosophiquement et idéologiquement, s'est construit dans un rapport entre politique et économie, et la politique se pensait comme pouvant devenir justement propriétaire de certains instruments économiques, pour mieux assurer l'égalité de tous les citoyens. Karl Marx, penseur et philosophe d'une exceptionnelle importance, qui est aujourd'hui mis de côté, a vraiment essayé de penser le capital, l'appropriation des moyens de production par les ouvriers qui, eux-mêmes, étaient aux commandes de ces moyens de production. Cette pensée est aujourd'hui non seulement méconnue, oubliée, mais de manière réaliste et pragmatique, elle n'est plus envisageable, dans aucun pays du monde. Effectivement, on est obligé de se dire qu'à l'aube du 21e siècle, non seulement l'économie ne peut plus être le levier d'un politique vers plus d'égalité, et vers plus de répartition des fruits de la croissance, mais que mieux, l'économie est antagoniste par rapport à l'idée même de la politique comme réhabilitation de la reconnaissance de chaque individu. Parce que l'économie est maintenant de plus en plus mondialisée, que les flux de capitaux sont de plus en plus concentrés, et que l'économie appartient à une élite qui s'approprie non seulement les moyens de production, mais peut se les approprier pour asservir de plus en plus la masse des citoyens, et de plus en plus s'approprier aussi le sens du monde, et peut-être même aller jusqu'à sapproprier l'imaginaire, les espoirs de chacun d'entre nous. Quand on pense à la concentration de capitaux dans le monde médiatique aujourd'hui, et quand on sait qu'il y a de grands groupes internationaux qui sont à la tête, non seulement de certaines presses écrites, mais de moyens de télévision et de moyens de nous donner la représentation du monde, on peut se dire que les rapports économiques sont au détriment, en ce moment même, de la politique, au sens où c'est la possibilité pour chacun d'exprimer son propre rapport au monde.

Question : Ce soir, vous allez clôturer les Rencontres de Pétrarque. Quel bilan tirez-vous de ces Rencontres et comment se dessine l'avenir ?
Laure Adler : J'ai la chance de pouvoir de nouveau travailler avec Jean-Noël Jeanneney, ancien PDG de Radio France, à qui j'ai proposé il y a un an et demi de faire une émission d'histoire sur France Culture. Il a accepté de faire une émission d'histoire qui ausculte le rapport du passé avec le présent, et ce tous les samedis matins. Car pour comprendre le présent, je pense qu'il faut comprendre les racines historiques de ce présent. Il faut donc rendre hommage à Jean-Noël Jeanneney et à Jean-Marie Borzeix qui avaient imaginé ce dialogue entre intellectuels et politiques, dans cette ville qui est Montpellier, qui est une ville très vivante et jeune, très universitaire, très ouverte sur le monde. Moi, je suis très fascinée par la jeunesse, la turbulence, l'inventivité de cette ville et de ses habitants. Et c'était inscrit à l'intérieur d'un festival qui naissait à l'époque, qui s'appelait le festival de Radio France et Montpellier qui, comme vous le savez, obtient de plus en plus de succès, plutôt sur le plan musical. Donc, au départ, ces Rencontres de Pétrarque étaient inventées comme un supplément d'hommes intellectuels. Puis, au fil du temps, elles ont été dépassées par leur propre succès. Et moi, l'année dernière, quand je suis allée aux Rencontres de Pétrarque, qui se trouvaient dans une autre cour plus petite, j'ai vu qu'il y avait 300 personnes assises et 200 personnes debout. Moi-même, j'étais debout. J'ai vu avec quelle passion tous ces gens étaient en train d'écouter. Donc, le soir même, j'ai vu Georges Frêche et je lui ai dit : «Écoutez, c'est extraordinaire, c'est exceptionnel, ce lien entre les Montpelliérains et ces Rencontres de Pétrarque. Mais les gens sont trop serrés. Est-ce qu'on ne pourrait pas imaginer un autre lieu ?» Ni vu ni connu, le lendemain matin, il m'a fait visiter Montpellier, les extérieurs de Montpellier, des possibilités à l'intérieur de Montpellier. On est tombé très vite d'accord sur cette cour. Mais, en même temps, on avait un peu peur à France Culture, parce qu'on triplait les capacités d'accueil. Donc, on s'est dit qu'il y aura des chaises vides. Vous avez vu que non seulement les chaises sont occupées, mais qu'il y a encore des gens debout. Donc, vu le succès de ces Rencontres de Pétrarque, on a pensé qu'il fallait les continuer toute l'année. Nous avons déjà commencé l'année dernière par des rencontres scientifiques, sur le thème du génome, puisque Montpellier est une ville hyperscientifique, avec de grands chercheurs. Nous avons eu une écoute formidable des Montpelliérains, dans un samedi spécial de radio libre, et nous allons continuer et resserrer nos liens pendant toute l'année avec les Montpelliérains, à partir du dernier trimestre de l'an 2000, à raison d'une fois par mois, au moins. Nous avons discuté avec Georges Frêche. Cela sera fait de trois façons différentes. D'une part, nous allons continuer sur le thème de l'invention scientifique, avec de grands débats scientifiques. D'autre part, nous allons le faire aussi sur le thème des religions, parce que Montpellier est une ville multiconfessionnelle. Nous allons enfin essayer de resserrer nos liens sur le plan artistique, parce qu'à Montpellier, il y a aussi une politique artistique très intense, et nous aimerions bien y être associés. Par ailleurs, au festival de Radio France et Montpellier de l'année prochaine, outre les Rencontres de Pétrarque que nous sommes en train d'imaginer avec Georges Frêche, Jean-Marie Cavada et René Kœring, France Culture compte s'associer à la politique musicale du festival de Radio France. Nous sommes en train d'imaginer un cycle d'une semaine de commandes de création contemporaine musicale, qui correspond à notre nouvelle impulsion musicale de France Culture. Donc, vous voyez à quel point l'amour a commencé, mais il est loin d'être terminé.

Question : L'autre soir, au Domaine de Méric, vous aviez dit : "En conclusion, nous avons besoin des politiques". Pouvez-vous nous dire pourquoi ?
Laure Adler : Je pense que nous avons vécu la dernière décennie comme une décennie de désenchantement et de dégoût même du politique, de suspicion quasi automatique envers l'ensemble de la classe politique. Les exemples étaient nombreux pour nous prouver que nous, citoyens, nous avions raison de nous interroger sur la légitimité de la représentativité des politiques, et notamment, sur le bien-fondé de leur morale. Nous avons vu quand même que les hommes politiques utilisaient leur place politique, pour certains, pour pouvoir détourner l'argent des contribuables, pour pouvoir profiter de leur situation, pour pouvoir assurer une sorte d'égotisme, de narcissisme démultiplié. En plus, moi j'ai une autre casquette, je suis historienne et je suis féministe. J'ai écrit, il y a une dizaine d'années, à un moment où ce n'était pas encore la mode de la parité en politique, un livre sur les femmes politiques, parce que j'avais eu l'expérience d'être conseillère culturelle à l'Élysée du temps de Mitterrand, et je m'étais aperçue, à fréquenter les hommes politiques, qu'ils étaient terriblement machistes. Je les côtoyais au quotidien, je voyais que non seulement ils avaient peu de considération pour les femmes, mais qu'à chaque fois qu'ils pouvaient les écarter pour avoir eux-mêmes des postes importants, ils ne s'embarrassaient pas de précautions. Donc, j'ai vécu aussi l'accession au pouvoir, comme Premier ministre, d'Edith Cresson, j'ai vu à quel point elle avait été critiquée par ses pairs, comment elle avait été massacrée, parce qu'elle était aussi une femme, même si elle avait fait quelques erreurs politiques, et comment on a été injuste envers elle dès le début de son mandat de Premier ministre. J'ai pu faire un livre en interviewant de très nombreuses femmes politiques. Cela allait de Simone Veil, en passant par Marie-France Garreau, Martine Aubry, Elizabeth Guigou, etc. Et je me suis aperçue que ce monde du politique considérait l'homme tel un héros. Pour certains hommes, faire de la politique, c'est pouvoir séduire les femmes. Je ne crois pas me tromper en disant que les femmes prennent le politique et la politique plus au sérieux, mais moins dans une résonance symbolique et sexuelle, et plus, comme dans tous les autres pays du nord de l'Europe, comme une fonction de délégation de responsabilités, comme une fonction de représentativité, comme une fonction d'exécution des tâches, comme une fonction de suivi du quotidien, comme une fonction - pour reprendre une très belle expression qu'employaient, en 1789, les révolutionnaires femmes quand elles voulaient déjà le droit de vote qu'elles n'ont obtenu qu'à la fin de la 2ème guerre mondiale - de "grandes ménagères de la cité". Effectivement, les politiques se sentent aussi comme étant ceux qui doivent faire le ménage dans tous les sens du terme, c'est-à-dire rendre respirable l'air de nos cités, mais aussi enlever les saletés, faire en sorte que la morale puisse régner et l'égalité aussi.

Question : Comment se fait-il alors qu'il y ait si peu de femmes aux Rencontres de Pétrarque ?
Laure Adler : J'ai tout fait pour qu'il y ait beaucoup de femmes à ces rencontres. Elles sont quand même bien représentées. Regardez, par exemple, Françoise Gaillard a été aux débats de toutes les rencontres, Sylviane Agacinski a brillé par son analyse hier ; ce soir, vous avez deux grandes militantes pour lesquelles j'ai beaucoup d'estime et d'admiration : Suzan George qui représente un mouvement alternatif de politiques, et Annick Coupé qui a été extrêmement courageuse au moment des grandes grèves de décembre qui sont restées dans nos mémoires. Ces femmes sont justement des tenantes d'une politique de la citoyenneté au quotidien et de la lutte à tous les instants, dans la plus grande transparence.

Propos recueillis par Abdellah Ajnah
Montpellier - Le 21 Juillet 2000



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