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Rencontres de Pétrarque

La justice et la politique selon Françoise Gaillard

Françoise Gaillard est philosophe, enseigne à Paris VII, elle est membre du comité de rédaction des revues Esprit et Cahiers de médiologie. Auteur notamment de La Modernité en questions avec Jacques Poulain et Richard Schusterman (Cerf, 1998).
La philosophe plaide pour un partage des risques et des responsabilités entre citoyens et politiques.


Entretien


Question : Les «affaires» se multiplient. Comment analysez-vous ces interventions répétées de la justice dans le domaine de la politique ?
Françoise Gaillard : L'opinion a tendance à considérer que l'intervention du juridique est une avancée de la démocratie. D'un certain point de vue, c'est vrai. C'est-à-dire que finalement, nous découvrons que les hommes politiques ne sont plus au-dessus de la loi, une exigence de transparence apparaît et nous devons peut-être nous réjouir de cette forme de maturité de la démocratie, l'égalité, la même justice pour tous, personne n'échappe aux lois. En même temps, pour certains, c'est malgré tout l'inquiétude.

Question : Selon vous, la justice n'est-elle pas en train de discréditer les hommes politiques ?
Françoise Gaillard : La justice met de plus en plus en examen les hommes politiques, et les affaires finissent par les discréditer. De plus en plus, les électeurs émettent certains propos : "Pourquoi voter ? Ils sont tous les mêmes, la gauche et la droite, chacun a ses affaires. . .". Mon analyse est complètement différente et peut paraître surprenante : je ne crois pas que ce soit la multiplication des affaires qui aboutisse à ce discrédit du politique. Il faudrait plutôt penser les choses à l'inverse : je crois que c'est l'affaiblissement du politique dans ses missions spécifiques, c'est-à-dire lorsqu'il s'agit de définir ce que sont le souverain bien, la justice sociale, la distribution des places, des rôles, des avantages. . . Bref, c'est la faillite de cette définition qui pousse le citoyen à se tourner vers la justice, en vue de lui demander une équité qu'il ne trouve plus du côté du politique. Cela voudrait dire que la montée en puissance du juridique n'a pas entraîné le retrait du politique, mais que c'est plutôt le retrait du politique qui a entraîné la montée en puissance du juridique.

Question : La justice devient-elle un pouvoir et non plus une autorité ?
Françoise Gaillard : La justice sort de son rôle sous la pression d'une demande sociale. Le juge sort de sa fonction qui consiste à dire le droit et usurpe la fonction du politique qui est celle de dire les valeurs. Le risque est que les juges se prononcent sur les choix de société, poussés par l'opinion publique.

Question : Existe-t-il une confusion entre responsabilités politique et pénale ?
Françoise Gaillard : L'opinion ne peut pas imaginer de victimes sans coupables : c'est une caractéristique de notre société, une logique de bouc émissaire.
Cette absence est très grave et cette confusion des responsabilités provoque l'irresponsabilité. La politique n'existe pas sans prise de risque, car elle oblige à des choix. Les risques devraient être partagés par les citoyens, or ceux-ci ne veulent plus prendre le moindre risque. Cette confusion des domaines paralyse à terme le politique. N'oublions pas que la responsabilité politique n'inclut pas nécessairement la faute commise par l'homme politique. Cette erreur est dommageable pour l'avenir de la démocratie. Je cite un exemple : aux États-Unis, lorsque des blessés arrivent dans les urgences, de nombreux médecins refusent de les soigner, par peur de ne pas arriver à des résultats parfaits, d'être traînés devant les tribunaux. C'est pour cela qu'il faut différencier les responsabilités. On peut imaginer des politiques obligés à ne pas faire de choix, par peur de devoir rendre des comptes à la justice. Il se pourrait qu'un maire n'organise plus de colonies de vacances, de peur qu'un enfant se fasse mal, et que le maire en soit responsable devant la loi.

Question : Assistons-nous à une cohabitation presse-justice contre la politique ?
Françoise Gaillard : L'opinion publique a longtemps considéré que la presse était un contre-pouvoir. Elle se demande aujourd'hui s'il y a une sorte de cohésion objective avec la justice. Cela a commencé aux États-Unis, lorsque les journalistes ont mis la lumière sur le Watergate. En France, on voit aujourd'hui la mise en place de règles du jeu démocratiques qui seraient énoncées par le droit, et relayées auprès de l'opinion publique par les médias. Le juridique aura peut-être un jour pour fonction d'organiser l'espace social, à l'exemple de ce qui se passe aux États-Unis.

Question : Devons-nous prendre en compte ce qui se passe aux États-Unis pour cadrer les relations entre les politiques et les médias ?
Françoise Gaillard : Nous devons effectivement nous inspirer de ce qui se passe aux États-Unis pour éviter d'avoir la même évolution et le même destin. Je vais très souvent aux États-Unis, c'est pour cela que j'y fais référence. Cette société américaine me passionne, parce que j'ai l'impression qu'elle anticipe l'évolution de notre propre société. Je crains fortement que le devenir de l'Europe ne soit, finalement, celui des États-Unis. C'est-à-dire que ce qui se passe aux États-Unis ne fait qu'anticiper ce que nous allons connaître. Et je ne suis pas sûre que les leçons que nous pouvons tirer de ce qui se passe aux États-Unis nous empêchent de connaître le même destin. Par exemple, la violence scolaire et toutes sortes de manifestations qui étaient jusqu'à très récemment ignorées de notre société, se manifestent tout-à-coup sur un schéma qui rappelle absolument l'évolution de la société américaine. "Comment s'en prévenir ?" : bonne et redoutable question. Je dirai que nous ne pouvons nous en prévenir que si nous redonnons du pouvoir aux politiques.

Question : Donc les politiques ont abandonné une partie de leur pouvoir ?
Françoise Gaillard : Exactement. Je dirai qu'ils l'ont abandonnée, me semble-t-il, à partir du moment où ils ont pensé que leurs propres choix étaient soumis à une fatalité, cette fatalité s'appelle la loi de marché. C'est-à-dire à partir du moment où ils ont pensé qu'ils n'étaient plus que les gestionnaires d'une société soumise à un impératif qui est la loi de marché.

Question : La transparence non contrôlée n'est-elle pas un danger pour la démocratie ?
Françoise Gaillard : Cette transparence, si elle est totale, avec confusion des deux scènes, la scène publique et la scène privée, est une menace pour la démocratie, dans la mesure où la démocratie ne tend plus qu'à être une forme totale, absolue et sans possibilité de changement ni de mutation de la contractualisation sur laquelle elle repose. Il faut que la démocratie se confonde avec le contrat sur lequel elle repose. Et tout ce qui n'entrera pas dans le contrat sera considéré comme étranger, dangereux. . .

Question : Quelles sont vos prévisions sur les rapports entre les politiques et la justice ?
Françoise Gaillard : Des prévisions, je n'en ai pas. J'espère que sous la poussée de la demande sociale, les politiques finiront par entendre quelque chose, et qu'ils arriveront à sortir de l'idée qu'il y a au-dessus d'eux une loi transcendante, ce que j'appelle "la loi de marché", c'est-à-dire la mondialisation, qui ne leur laisse aucune marge de manœuvre. Il faut aussi qu'ils reprennent les choses en main, c'est-à-dire qu'ils reprennent conscience de leur mission principale, à savoir énoncer les choix de société. Et à ce moment-là, me semble-t-il, le politique retrouvera tous ses droits. Si cela ne se fait pas, ce sera très dommageable pour la démocratie.

Propos recueillis par Abdellah Ajnah
Montpellier - Le 18-07-2000



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Liens externes


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- France info

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- Le Conseil constitutionnel (France)

- New York Times

- Washington Post