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Rencontres de Pétrarque

Les médias et la politique selon Alain Finkielkraut

Alain Finkielkraut est philosophe, producteur de "Répliques" à France Culture. Il est l'auteur notamment de L'humanité perdue - essai sur le XXe siècle (Seuil), de Le Mécontemporain -  Péguy, lecteur du monde moderne (Gallimard), de L'ingratitude (Gallimard) et de Une voix vient de l'autre rive (Gallimard).
Le philosophe plaide pour une meilleure entente entre presse, justice et politique.


Entretien


Question : L'«unique pensée» de la gauche de gauche ne serait-elle pas en train de se substituer à la pensée unique ?
Alain Finkielkraut : Il faut que je reste ouvert ! Ce soir, aux Rencontres de Pétrarque, vont s'exprimer les acteurs, les penseurs, les praticiens et les théoriciens des nouveaux militantismes, des nouvelles formes d'action. Et nous verrons bien s'il s'agit là d'une alternative crédible. Moi, ce qui m'affecte ou me déprime aujourd'hui, c'est en effet ce conflit, de plus en plus virulent, entre une pensée politique, réduite à la gestion des contraintes, et une pensée ultra-radicale qui ne s'est pas défaite de ses démons totalitaires ou de ses démons robespierristes, et qui a tendance à transformer les problèmes en salauds. Là où il y a des problèmes, on voit des salauds et on dénonce des salauds. Je suis très inquiet de cette sorte de face-à-face entre la gestion des contraintes et la dénonciation des salauds. J'espère, au fond, que ce soir, on pourra échapper à cette alternative.

Question : Vous dénoncez le couple infernal juges-journalistes. Mais est-ce que le fait que les politiques veuillent étouffer les «affaires» ne pousse pas les juges à se servir des médias ?
Alain Finkielkraut : Il ne faut pas se tromper de combat, je crois que c'est l'alibi des juges et des médias pour justifier leurs propres entorses au droit. Le secret de l'instruction est l'un des principes directeurs de la justice. Ce principe est constamment bafoué par la justice elle-même. Il faut bien qu'elle légitime ce type de violation, et elle le fait en disant que c'est le seul moyen aujourd'hui pour empêcher l'étouffement des affaires. Je ne suis pas sûr que cela soit vrai, car il est de l'intérêt commercial des médias, aujourd'hui, de percer le secret de l'instruction. Il y a longtemps que la tutelle politique sur les médias s'est estompée. Les juges aujourd'hui trouvent enfin leur indépendance. Je crois que, même si demain il n'y a plus aucune tentative pour étouffer les affaires, le secret de l'instruction sera constamment bafoué. On invoquera, avec la même constance, la menace imaginaire d'une emprise des politiques pour justifier des comportements dérogatoires au droit, issus du sein même de l'institution judiciaire.

Question : Devons-nous donner une vraie indépendance à la justice pour limiter le pouvoir des politiques ?
Alain Finkielkraut : Je crois que cette indépendance existe. Les représentants du peuple ne sont pas les juges, ce sont les parlementaires et les membres de l'exécutif, jusqu'à nouvel ordre. Si on ne veut pas recréer des parlements à l'ancienne et une corporation judiciaire au-dessus de tout contrôle, il est légitime de demander aux représentants du peuple de réformer. Le pouvoir des juges est quasi illimité et c'est un danger pour les justiciables.
La question de l'indépendance du parquet est extrêmement complexe. Il n'est pas souhaitable aujourd'hui que le gouvernement de la France n'ait pas une politique pénale. Si on veut avoir une politique pénale, il faut que les procureurs soient liés au garde des sceaux. Sinon tel procureur pourra choisir de poursuivre tel type de délinquant, et tel autre procureur pourra choisir une autre politique ; et la France s'émiettera entre différents types de politique. Ce serait une solution extrêmement désagréable.

Question : Vous avez dit que vous êtes pour un retour du contrôle de la justice par les politiques. Qui contrôle les juges aujourd'hui ?
Alain Finkielkraut : Il faut faire des distinctions. Il faut apprendre un certain nombre de choses avant de partir en croisade. La magistrature assise et la magistrature debout, ce n'est pas la même chose ; les juges et les procureurs, ce n'est pas la même chose. L'indépendance des juges est nécessaire, mais elle est aujourd'hui assurée. L'indépendance des procureurs serait contestable ; les procureurs doivent mener la politique que leur dicte le garde des sceaux pour qu'il y ait une politique pénale de la France, et pour que les choix politiques de la France puissent être répercutés à tous les niveaux. Si on en est encore aujourd'hui à oublier cette distinction élémentaire, alors on tombe dans le slogan.

Question : Jadis on croyait que le «tout communication» participe au développement de la démocratie. Est-ce que l'équation entre développement de la communication et approfondissement de la démocratie serait toujours valable ?
Alain Finkielkraut : Je ne sais pas s'il faut répondre à des Questions aussi générales avec des termes très généraux. Tout dépend de ce que l'on entend par communication. Ce qui est dommage aujourd'hui, c'est que l'on veuille aborder et résoudre toutes les questions en termes de droits de l'homme ; c'est-à-dire que la question de la presse c'est la liberté de la presse, la question des juges c'est la liberté des juges. Non, les journalistes sont libres, et en même temps, cette liberté ne donne pas les résultats que l'on pourrait en attendre. Pour la liberté de la presse, ce qui est souhaitable, ce n'est certes pas d'y mettre des limites, mais c'est que les journalistes posent les bonnes questions aux intellectuels et aux hommes politiques. Les hommes politiques sont constamment en représentation, ce sont des hommes pressés. Ils n'ont pas le temps de s'attarder et de réfléchir aux choses. Il faudrait qu'ils soient sollicités par des questions judicieuses et fortes. Il faudrait que les journalistes les aident à penser, en leur posant les bonnes questions. Mais si les journalistes n'ont qu'une obsession (la divulgation des affaires, la recherche des magouilles, la dénonciation des arrière-pensées), ils n'aident pas les politiques à penser. Au contraire, ils participent à la «non-pensée» dominante. Donc chacun dans son rôle : le journaliste dans le rôle du questionneur, l'homme politique dans le rôle de l'acteur. Le questionneur doit aider l'acteur, non pas par des questions complaisantes, mais par des questions difficiles qui l'obligent à mieux penser.

Question : Sont-ce le «tout communication» et la liberté exagérée de la presse qui entraînent la désertion des hommes politiques ?
Alain Finkielkraut : Non pas du tout, je pense que le métier politique a perdu beaucoup de son attrait, du fait que d'autres institutions mènent aujourd'hui la vie dure aux politiques. L'homme politique, aujourd'hui, est constamment sous la menace : menace d'abus de biens sociaux, surveillance judiciaire continuelle, harcèlement médiatique ; tout cela peut conduire à une espèce de désaffection. De moins en moins de gens veulent être maires aujourd'hui. Il faut avoir en tête l'exemple américain ; ce qu'on peut constater, c'est que l'élite américaine se détourne du métier politique. En France, une partie de l'élite s'est toujours destinée au métier politique. Il serait dommage que cela cesse, il serait dommage que la politique soit confiée aux plus médiocres. Cela devrait nous amener à réfléchir.

Question : Vous avez parlé de harcèlement. Ceci n'est-il pas dû à un phénomène d'ignorance ?
Alain Finkielkraut : Les politiques sont des gens qui n'ont pas le temps, qui sont pressés, qui ne lisent pas de livres, qui lisent des dossiers. On ne peut pas dire qu'ils ignorent les intellectuels. Il faudrait qu'ils se délivrent eux-mêmes d'une espèce de surmenage. Cette situation est donc inquiétante. C'est là que la presse peut jouer un grand rôle au travers de la qualité de son questionnement. Il faut être capable, par les bonnes questions, de pousser les politiques dans leur retranchement, de les sortir de leurs automatismes, de les amener encore une fois à penser mieux, à réfléchir mieux. Mais il faut que nous ayons tous, chacun dans notre partie, également le souci du monde. Or, quand les journalistes et un certain nombre de citoyens sont persuadés que les hommes politiques n'ont pas le souci du monde, mais le souci de se distribuer les places, ou bien de faire des affaires un peu crapuleuses, alors eux-mêmes, ces citoyens et ces journalistes perdent le souci du monde, au profit d'un désir éperdu de divulgation et de révélation. Et le vrai danger serait celui d'une opinion cynique et d'acteurs politiques les uns et les autres déliés du souci du monde.

Question : La transmission des messages des politiques par les médias n'est-elle pas une falsification qui résulte de cette ignorance mutuelle ?
Alain Finkielkraut : Non, ce n'est pas une falsification, parce qu'on peut avoir une complicité à un certain niveau, mais c'est un manque d'intérêt à la politique elle-même de la part des journalistes. Que nous disent les commentateurs de l'actualité politique ? Ils ne parlent jamais de politique, ils nous parlent toujours de concurrence, de compétition. Donc la politique n'intéresse pas les journalistes politiques. Ce qui les intéresse, ce sont les luttes, les appareils, les conflits internes. Et c'est le désinvestissement de la politique par le journalisme politique qui me paraît être le problème d'aujourd'hui.

Question : Que pensez-vous de ces intellectuels, de ces philosophes qui se mêlent de la politique ? Je fais allusion à Bernard Henry Lévy, mais aussi à Régis Debray avec qui vous étiez en conflit à propos de l'affaire du Kosovo.
Alain Finkielkraut : Il est bon que le débat politique soit nourri de points de vue extérieurs, d'autant plus que les acteurs sont tellement pressés qu'ils n'ont pas le temps de penser. Il y a en effet des intellectuels qui interviennent dans l'espace public, je pense que c'est une bonne chose. Je ne regrette pas qu'il y ait des interventions sous forme de meetings, de manifestations ou d'articles, car cela nourrit le pluralisme. Ce que je peux regretter aujourd'hui, c'est une sorte d'inflation pétitionnaire ; je trouve qu'il y a trop de pétitions distraites. Les intellectuels n'ont aucune raison de penser la même chose, ce n'est pas une corporation, ce n'est pas un syndicat. Mais ils devraient s'astreindre à un certain nombre de principes liés, en quelque sorte, à leurs fonctions. Ils devraient être méthodiques et scrupuleux. Or je vois beaucoup d'intellectuels qui signent des pétitions sans se renseigner, par désinvolture, par paresse, par automatisme ou par habitude. J'ai vu, par exemple, des intellectuels signer contre moi une pétition, lorsque j'ai publié mon livre intitulé «Une voie vient de l'autre rive», car dans ce livre je critique certaines dérives pédagogiques. Dans cette pétition, j'étais accusé de dire des choses qu'en fait je ne dis pas ; ces intellectuels n'avaient pas lu mon livre, ils avaient lu l'article de l'un des leurs, un pédagogue, Philippe Mérieux, qui critiquait mon livre. Ce sont des attitudes qui se répandent aujourd'hui et qui ne sont pas dignes de lintellectualité. Donc je plaide pour le pluralisme ; mais ce pour quoi je plaide avec beaucoup de ferveur, parce qu'avec beaucoup d'inquiétude, c'est pour un peu plus de scrupules.

Question : Pensez-vous qu'il faut réformer le système éducatif, pour une éducation beaucoup plus citoyenne, beaucoup plus responsable ?
Alain Finkielkraut : Il ne faut pas tout mélanger. Il ne faut pas faire de ce citoyen une sorte d'adjectif chewing-gum omniprésent. On devient citoyen après avoir reçu une éducation, et la citoyenneté n'est pas le seul horizon de l'éducation. L'horizon de l'éducation, c'est la culture, c'est l'intégration dans le monde, c'est la compréhension des œuvres, entre autres, et c'est déjà beaucoup. Réformer le système éducatif, pas nécessairement. Il faut réformer la réforme. Le système éducatif vit sous une réforme permanente depuis au moins trente ans. Il n'est pas une sorte d'édifice immuable, c'est un chantier permanent. Ce qu'il faudrait faire vis-à-vis de l'éducation, c'est un pas de côté, et surtout s'interroger. Et, avant de passer à la prochaine réforme, il faut faire le bilan des réformes. Là où je vous rejoins, c'est que sans un système éducatif digne de ce nom, la citoyenneté est effectivement en péril, la démocratie court un grave danger. Et je crois qu'il y a un lien entre une éducation exigeante et l'exercice du scrupule auquel je conviais tout à l'heure. Moins l'éducation sera exigeante, moins les individus, à quelque poste que ce soit, seront scrupuleux.

Propos recueillis par Abdellah Ajnah
Montpellier - 23 Juillet 2000



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Liens externes


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- France info

- Wikipedia

- Le Conseil constitutionnel (France)

- New York Times

- Washington Post