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Sciences

Entretien avec Hubert Curien

Président de l'Académie des Sciences et ancien Ministre de la Recherche

«Il ne s'agit pas de faire des réformes de structures, mais des changements de mentalités»

Le Vosgien Hubert Curien, actuel Président de l'Académie des Sciences, fut Président du Centre Européen de la Recherche Nucléaire (CERN) en 1966. De 1976 à 1983, il présida le Centre National d'Etudes Spatiales (CNES). De 1984 à 1986 puis de 1988 à 1993, il s'est vu confier le portefeuille du Ministère de la Recherche. Il présida également d'autres organismes internationaux : la Fondation Européenne de la Science (1980-84) ; l'Agence Spatiale Européenne (1981-84) ; l'Academia Europaea (1994-97) et le Space Agencies Forum for the International Space Year (1992).

Hubert Curien était à Montpellier dans le cadre des journées de l'Académie des Sciences et de l'Académie d'Agriculture qui se sont déroulées les 11, 12 et 13 Mars 2002. Il nous a accordé cet entretien en exclusivité.


Entretien


Question : L'Europe de Maastricht a été faite lorsque vous étiez ministre. A votre avis, l'Europe n'est-elle pas un frein au développement de la recherche, vu toutes les lois qu'elle impose ?
Hubert Curien : Sûrement pas. Au contraire, je crois qu'on peut dire que les premières initiatives qui ont été prises et qui ont conduit à des résultats concrets pour l'Europe, ont été des initiatives scientifiques. Regardez les institutions européennes qui ont bien marché et qui ont été fondées dès les années 1950 : ce sont le CERN, installé à Genève pour l'étude des particules élémentaires, le «European Space Agency» (Agence Spatiale Européenne) et toutes sortes d'autres ententes entres scientifiques européens pour travailler ensemble. Donc, les scientifiques peuvent dire qu'ils sont parmi les premiers à avoir construit réellement l'Europe.

Question : Aujourd'hui, la recherche industrielle n'est pas autant développée en France qu'aux États-Unis. L'État ne doit-il pas intervenir un peu plus pour imposer aux industriels d'investir dans la recherche ?
Hubert Curien : Tout d'abord, nous ne pouvons pas imposer aux industriels d'investir dans la recherche, vu que nous sommes dans un pays libre. Mais nous pouvons les y inciter. Alors, nous avons fait quelques démarches. Et puis, dans le cadre de l'Europe, nous avons pris des initiatives telles que celle d'Eurêka. Nous avons lancé ce projet dans les années 1980 pour donner une réplique à une initiative américaine qui s'appelait I.D.S. (Initiative de Défense Stratégique), initiative de développement de la recherche et de la technologie dans des buts de défense. En fait, nous avons vu que l'initiative I.D.S., où il y avait beaucoup d'argent, donnerait un véritable renouveau à la recherche technique américaine. Donc, il fallait que de notre côté, en Europe, nous fassions quelque chose, et nous avons fait Eurêka, dans le cadre duquel nous avons essayé de monter des programmes subventionnés en partie par les États, qui s'orientent vers les technologies les plus prometteuses. Ainsi, il y a naturellement quelques sujets de préoccupation. Tout à l'heure, nous faisions allusion aux affaires spatiales. Il est évident que les Américains dépensent six ou sept fois plus que les Européens dans les affaires spatiales. Il est très difficile dans ces conditions-là d'être au meilleur niveau. Toutefois, nous sommes à un très bon niveau, la preuve en est que dans les initiatives de lancement pour les fusées, nous sommes classés au premier rang mondial. Mais nous sommes dépassés par les Américains, notamment en ce qui concerne les programmes de défense dans l'espace, ce qui nous met dans une situation un peu difficile.

Question : Concernant l'espace, ne faudrait-il pas créer un pôle européen unique pour faire face aux États-Unis ?
Hubert Curien : C'est déjà fait. Nous avons l'Agence Spatiale Européenne qui s'occupe d'initiatives civiles, mais pas militaires. Pour les affaires militaires, peu d'actions communes sont réalisées, car seules la France, l'Italie, l'Espagne, la Grande-Bretagne et l'Allemagne font quelque chose. Mais l'Allemagne n'a jamais été très enthousiaste à l'idée d'avoir un consortium européen pour les affaires spatiales militaires, préférant avoir une coopération directe avec les États-Unis. Ainsi, nous Français, nous avons pris des initiatives, par exemple l'initiative de construire et de mettre en orbite des satellites d'observation militaire, avec une participation minoritaire de deux autres pays, et nous continuons à faire cela. Mais, voyez-vous, dans le domaine militaire, nous n'avons pas réussi à faire une véritable coopération européenne.

Question : De plus en plus, les patrons d'entreprises disent que la formation universitaire ne répond pas vraiment à leurs besoins. Que pensez-vous de la formation des chercheurs ?
Hubert Curien : C'est un problème qui n'est pas uniquement français, ni uniquement européen, mais qui est universel actuellement. Nous constatons que les jeunes gens, dans tous les pays développés, s'orientent de moins en moins vers des études à caractère scientifique, et de plus en plus vers des formations qui sont plutôt à caractère commercial et d'activités de service. Il y a là une déviation qui est à notre avis pernicieuse et à laquelle il faut que nous réagissions tous. Alors, quels sont les arguments avancés par les étudiants qui viennent moins vers les sciences ? Premièrement, c'est que les sciences, c'est difficile ; et deuxièmement, c'est que les situations qu'ils trouvent à l'issue de leurs études, dans le domaine scientifique, sont plutôt moins attrayantes que celles qu'ils trouvent dans les activités de service. Ces deux arguments ne sont pas faux, mais il faut essayer de faire en sorte qu'ils soient de moins en moins vrais, et que les jeunes gens comprennent que des carrières scientifiques peuvent être aussi extrêmement intéressantes. Alors, il faut que les études scientifiques soient probablement plus séduisantes qu'elles ne le sont actuellement.

Question : S'il y avait une réforme à faire aujourd'hui dans le domaine de l'enseignement et de la recherche, ce serait laquelle ?
Hubert Curien : Vous savez, des réformes, on peut en faire autant qu'on veut. Il ne s'agit pas de faire des réformes de structures, mais des changements de mentalités. Il faut que notre société moderne s'oriente vers la valorisation de l'invention, plutôt que vers la valorisation des échanges.

Question : A l'occasion de ce colloque de l'Académie des Sciences, on parle aujourd'hui des OGM, en présence de certains membres de la Confédération paysanne. En tant que Président de l'Académie des Sciences, quel est votre avis sur le brevetage du vivant ?
Hubert Curien : Plusieurs aspects doivent être considérés à ce niveau-là. Lorsqu'on parle de brevetage du vivant, il est clair que la matière vivante ne peut pas être brevetée en tant que telle. Ce qui peut être breveté, par exemple en ce qui concerne le séquençage du génome, c'est lorsqu'une séquence a été établie et qu'on a en même temps démontré que telle ou telle partie du génome peut être utilisée pour telle ou telle application, notamment dans les sciences de la santé. Donc, ce qu'on ne doit pas breveter, c'est la connaissance de la structure d'un génome, mais on peut breveter l'application de cette connaissance à une nouvelle industrie médicamenteuse.

Question : Les Prix Nobel Jean-Marie Lehn, Pierre-Gilles de Gennes, Cohen-Tannoudji, ainsi que d'autres scientifiques ont signé une motion de soutien aux chercheurs du CIRAD lors du procès de José Bové. Pourquoi n'étiez-vous pas signataire ?
Hubert Curien : Cette motion a effectivement été signée par un certain nombre d'Académiciens. Vu que je suis Président de l'Académie des Sciences, je ne voulais pas en être signataire, pour éviter d'engager toute l'Académie. D'autant plus que nous n'avions pas eu le temps d'avoir une discussion ouverte à l'Académie avant que cette motion soit signée, et qu'il y avait urgence à la signer, parce qu'il y avait une session devant une cour judiciaire. Toutefois, j'approuve tout à fait les collègues qui ont signé cette motion qui précisait que chacun peut avoir son opinion, mais qu'il ne faut pas que la recherche en France prenne un retard important par rapport à ce qui se fait dans les autres pays, en Europe et aux États-Unis. Cette motion invitait les parlementaires à prendre une décision et à ne pas rester dans l'attente, car ils risqueraient de perdre le bénéfice que les scientifiques pourraient leur apporter.

Question : Avez-vous un idéal de la recherche ? Si oui, est-il déjà réalisé ?
Hubert Curien : Un idéal n'est jamais entièrement réalisé. Mais je peux dire que depuis quelques dizaines d'années, nous avons fait de grands progrès dans le soutien de la recherche, dans la perception du phénomène de recherche au sein de notre population. Certes, il faut aller beaucoup plus loin, mais l'essentiel, c'est que nos concitoyens comprennent que la recherche est une activité indispensable pour un pays développé, et qu'ils doivent la soutenir. Si les citoyens soutiennent la recherche, les gouvernements la soutiennent automatiquement.

Question : Souvent, le grand public se plaint de la complexité des propos des scientifiques. Qu'en pensez-vous ?
Hubert Curien : C'est un problème bien réel. Par exemple, durant ce colloque, vous avez entendu des scientifiques exposer leurs travaux. Il n'est pas toujours facile de comprendre leur vocabulaire, car ils sont souvent imprégnés par leur mode de raisonnement, et ils n'arrivent pas à montrer l'essentiel à un public non encore averti. Donc, c'est un devoir pour les scientifiques, quelquefois un peu difficile à réaliser, d'expliquer en termes simples les principes généraux et les résultats essentiels obtenus à travers leurs recherches. C'est pour cette raison que nous organisons des réunions telles que celle-ci.

Question : Vous étiez ministre de la recherche. Que peut apporter le chercheur à la politique ?
Hubert Curien : Un chercheur n'a pas à décider de la politique, chacun son métier. Mais les personnalités qui sont chargées des décisions politiques ont besoin d'avis d'experts, et il faut que les scientifiques contribuent précisément à ces expertises pour expliquer aux politiques où on va, quelles sont les différentes possibilités, les conséquences qui sont prévisibles, et à partir de là, les politiques décident.

Question : La retraite des chercheurs est une problématique compliquée. D'une part, il faut laisser la place aux jeunes et d'autre part, il faut que la recherche continue à bénéficier de l'expérience des chercheurs de haut niveau. Qu'en pensez-vous ?
Hubert Curien : Il n'y a pas de véritable problème. Ce sont les quelques esprits un peu compliqués qui font que les choses paraissent ainsi. Tout d'abord, la retraite chez les chercheurs n'est pas à 55 ans, mais plutôt à 65 ou 70 ans. Donc, ils ont fait déjà une carrière importante, et puis quand ils ont bien travaillé, les personnes qu'ils ont formées et qui sont à la tête du laboratoire ne les mettent pas à la porte, ils peuvent donc continuer à donner des avis. Mais il ne faut tout de même pas être encombrant, parce que les jeunes aiment bien s'exprimer. Il y a souvent la même réaction, c'est que la responsabilité des équipes de recherche doit passer assez vite entre les mains de chercheurs relativement jeunes qui ont un réseau de relations internationales très développé avec les gens qui bâtissent véritablement la recherche. Par conséquent, les professeurs qui partent à la retraite ne sont pas des professeurs âgés, ce sont des professeurs qui ont la joie de passer le flambeau à leurs jeunes collègues.

Propos recueillis par Abdellah Ajnah
Montpellier, le 12-03-2002



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